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jeudi 8 juin 2023

BOULIFA Si Amar-ou-Saïd (1865 – 1931) : le grand précurseur berbérisant



Son œuvre est à la fois un témoignage interne varié, d'une grande précision sur sa société, et un acte de foi et d'amour envers la culture berbère.

Né vers 1865 à Adeni (Irjen, Grande Kabylie), Boulifa appartient à une famille maraboutique modeste (d'où le Si de son nom). Boulifa (contrairement à ce qu'écrivent M. Redjala et J. Déjeux) est bien son nom patronymique à l’état-civil (français) ; en kabyle sa famille s'appelle At Belqasem u Aɛmer : il est donc Amar fils de Saïd des Aït Belkacem ou Amar. Il est orphelin très jeune, mais a la chance d'être apparenté par sa mère à la puissante famille de notables caïdaux de Tamazirt, les Ameur [At Waɛmer]. L’oncle maternel fait donc scolariser son neveu orphelin à l’une des toutes premières écoles ouvertes en Grande Kabylie (1875), pour laquelle les candidats étaient alors rares.



Et ce concours de circonstances va être déterminant pour le restant de sa vie puisqu'il s'engage rapidement dans la carrière d'instituteur, la seule voie de promotion qui pouvait alors s'offrir à un jeune Kabyle d'origine modeste. Il est d'abord moniteur-adjoint à Tamazirt, puis, après un stage à l'École normale de Bouzaréah (1896), instituteur-adjoint. D'après les documents – très incomplets – que détient sa famille, il ne serait nommé instituteur primaire public qu'en 1922. A partir de 1890, il devient répétiteur de berbère à l'Ecole normale puis en 1901, à la Faculté des Lettres d'Alger.

Dans son testament, daté du 20 octobre 1914, Boulifa se présente comme professeur de berbère à l'Ecole normale et à la Faculté des Lettres d'Alger, ce qui laisse supposer qu'il a pu accéder au rang de chargé de cours de l'Université. C'est du reste avec ce titre qu'il signe un article de 1923 (Cf. bibliographie, n° 7). Il prend sa retraite en 1929 et meurt le 8 juin 1931 à Alger (hôpital Mustapha). Il est enterré au cimetière de Bab-el-Oued (Alger). Il participe à la mission Ségonzac au Maroc-1-(fin 1904-1905) d'où il ramène ses Textes berbères de l’Atlas.

Sans enfant, il institue ses deux neveux (Ahmed et Belkacem Boulifa), qui vivaient à Adeni, légataires universels. C'est de son petit-neveu, Salah Boulifa (fils de Belkacem), lui-même instituteur à Adeni, que proviennent les informations et documents qui sont servi à l’élaboration de cette notice.

Pendant la guerre d'indépendance, l'ensemble de sa bibliothèque (qui, d'après les souvenirs des membres de sa famille, était considérable) et de ses documents, entreposés dans une petite maison à l'écart du village d'Adeni, sont détruits dans un incendie volontaire allumé par l'armée française qui
craignait que la maison ne serve de refuge aux maquisards. La mère de Salah Boulifa a pieusement rassemblé les quelques rares papiers échappés au feu, parmi lesquels figurent son testament, deux documents administratifs relatifs à sa carrière, et le cahier de notes du voyage au Maroc.

Boulifa a été le prototype de l’instituteur et de l’érudit kabyle de formation française, totalement acquis aux idéaux de l’Ecole républicaine française-2- , à ses objectifs affichés de promotion et d’égalité, mais, en même temps, profondément fier de sa culture et de sa langue d’origine auxquelles il se consacrera toute sa vie.

Boulifa a été un berbérisant prolixe ; il s'est intéressé – c'était d'abord un enseignant de berbère – principalement à la langue. Et il a pris très au sérieux sa fonction de pédagogue puisqu'il a élaboré la première véritable méthode d'enseignement (complète) de kabyle, fondée, avec plusieurs décennies d'avance, sur les principes de la pédagogie dite directe des langues. Antérieurement à Boulifa, on ne disposait que de grammaires descriptives, à la vocation pédagogique limitée. Mais il s'est également activement penché sur la littérature et l'histoire de sa région natale. 

Les berbérisants français, ses maîtres et ses pairs, n'ont pas toujours été très indulgents dans leurs appréciations sur son œuvre scientifique. On en trouve des traces nettes chez André Basset et plusieurs témoignages oraux nous l'ont confirmé. André Basset, le maître incontesté des études berbères pendant la période coloniale, semble avoir considéré les travaux de Boulifa comme peu fiables, y compris en matière kabyle où il manifeste parfois des réserves sur ses notations.

Cette attitude, assez injustifiée, était manifestement dictée par une réaction d'allergie universitaire devant l'engagement berbère marqué de Boulifa et, sans doute aussi, par une certaine réticence à reconnaître un indigène comme un pair. Sur un cas au moins où l'on peut juger sur pièces (à propos du verbe idir/dder "vivre"), c'est Basset qui se trompait, ce qu'il reconnaît d'ailleurs lui-même fort honnêtement de longues années après dans une formulation très révélatrice : « Seule une défiance exagérée vis-à-vis d'Abès et de Boulifa nous avait empêché d'en rechercher les notations ou d'en tenir compte. Il nous a fallu deux enquêtes personnelles pour en apprécier la valeur [...] ». (Articles de
dialectologie berbère, 1959, p. 155).

On ne pouvait mieux dire la méfiance des berbérisants institutionnels français vis-à-vis de leurs confrères autochtones. On ne partagera pas non plus le jugement plutôt sévère de Jean Déjeux sur la monographie historique de Boulifa : Le Djurdjura à travers les siècles. Elle est, en particulier pour la période turque, une bonne synthèse, surtout si l'on tient compte de sa date et du contexte historico-idéologique – ce qui s’impose en matière d'évaluation des sciences sociales. Il y a certes dans cet ouvrage de Boulifa, encore plus que dans tous les autres, un parti pris berbère et kabyle sans doute excessif. Le sous-titre : “Organisation et indépendance des Zouaoua” annonce clairement la couleur ! Et il est vrai que cela donne une tonalité très partiale à cette étude où la glorification nationale kabyle est permanente. Mais s'agissant de quelqu'un qui n'était pas un historien professionnel, le livre soutient honorablement la comparaison avec les travaux de la plupart des universitaires français de l'époque, chez lesquels l'idéologie et les thèmes coloniaux sont au moins aussi présents et pesants.

On est d’ailleurs assez surpris de cette absence de remise en perspective, car à ce compte, il n'y aurait pas grand-chose à retenir de tous les travaux historiques français au Maghreb, au moins jusqu'à la Seconde Guerre mondiale : tous sont truffés de poncifs sur la mentalité et la psychologie sociale
(transhistorique) des Berbères (et des Arabes) ! Notamment leur origine "européenne" ou leur "inaptitude à l'Etat", que l'on retrouve même chez les plus grands, les piliers de l'Université française au Maghreb au début du XXe siècle. Les Français ont longtemps écrit une histoire française et européenne
du Maghreb, les intellectuels nationalistes arabophones ont développé, à partir des années 30, un discours arabo-islamisant – largement repris après 1945 et jusqu'à nos jours par les spécialistes occidentaux des sciences sociales. Boulifa a tenté – sans doute trop tôt – d'écrire une histoire berbère de la Kabylie. On peut estimer qu'il a eu un rapport trop passionnel à son objet d'étude, et même lui reprocher d'avoir été, avant l'heure, un militant fougueux de la culture berbère. Cela ne paraît ni infâmant, ni de nature à ôter à ses travaux tout intérêt scientifique. Cela serait même un travers assez bénin dans la mesure où le parti-pris est si flagrant qu'il est aisé d'en tenir compte dans la lecture et l'exploitation de ses ouvrages. Ce n'est pas, loin de là, le cas de nombreux travaux actuels sur le Maghreb où un vernis pseudo épistémologique et théorique n'a d'autre fonction que de masquer des orientations et présupposés idéologiques que l'on assume d'autant moins ouvertement qu'ils occupent les positions dominantes ou de pouvoir.

L'apport scientifique de Boulifa, dans toutes les matières auxquelles il s'est intéressé, est indéniable, même si ses formulations et son style datent, même si ses options personnelles détonnent (par rapport à son époque et encore par rapport à la nôtre où il ne fait toujours pas bon parler du Maghreb d'un point de vue berbère !) et peuvent agacer certains. Du reste, la lecture attentive des fragments de notes du voyage au Maroc, (désormais intégralement accessible ; Cf. Ould-Braham 1995) notamment les passages sur l'origine et l'histoire des Berbères, montre que Boulifa était un historien mesuré, bien informé et qui ne se laisse pas aller aux élucubrations courantes de l'époque, y compris chez les universitaires. Comme le montre le passage suivant, ses appréciations sur la formation du peuplement berbère sont tout à fait modernes et contrastent très favorablement avec les fumeuses théories celtiques, germaniques ou grecques qui avaient alors largement cours : 

« D’après lui [M. de Segonzac], les Rifains ne peuvent descendre que des tribus Barbares qui au VIe siècle avant J.C. ont envahi le midi de la France et l’Espagne. les yeux bleus de certains Rifains font même penser au sang germain coulant dans les veines de ces indomptables montagnards. Il y a là une hypothèse un peu hasardée comme le sont d’ailleurs toutes celles que l’on peut formuler au sujet de la formation des races, ou plutôt des différents éléments
composant une race. Qu’il y ait eu en des temps très reculés et que l’histoire arrive à peine à préciser des Germains, des Gaulois ou des Ostrogoths qui, poussés par le besoin ou l’intérêt, le détroit de Gibraltar traversé, se soient répandus dans le Tell marocain pour vivre la vie indigène en s’assimilant aux habitants, la chose est possible et très vraisemblable. Mais de là, arriver à une généralisation qui ferait descendre tous les Rifains d’une race germanique serait une conclusion qui n’aurait aucune base et que ni l’histoire, ni les ethnographes n’admettraient. Les Rifains ne sont pas plus d’origine germanique ou celtique que leurs frères les Kabyles du Jurjura ou de l’Aurès chez qui le type blond abonde. Les connaissances historiques et ethnographiques sur l’Afrique du Nord, connaissances qui deviennent de plus en plus précises, ne nous permettent plus aujourd’hui d’admettre les hypothèses émises sur l’origine des blonds en Afrique. […] La conclusion est que la race autochtone appelée généralement la race berbère a eu de tous les temps des bruns, des blonds…. » (Journal, lundi 7 novembre 1904).

Son œuvre est à la fois un témoignage interne varié, d'une grande précision sur sa société, et un acte de foi et d'amour envers la culture berbère. Boulifa est sans aucun doute le plus important des érudits kabyles de son époque.

[S. CHAKER] - Inalco - Centre de Recherche Berbère

-1-  Boulifa aurait quitté la mission en raison d’un désaccord avec Segonzac, en simulant une maladie ; information de Ameziane Amenna, lui-même originaire du village d’Adeni et fils d’un ami intime de Boulifa.
-2- Il semble même qu’il ait été Franc-maçon.




2 commentaires :

Unknown a dit…

Azul.
Tanemmirt ɣef leqdic-a-nwen yesεan azal ameqqran.

thadukli a dit…

Tanmirt a leqdic agi inek

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